Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours d'ennui
8 janvier 2011

Effacement progressif du passé - 4

Je me réveille à l’aube, couché derrière une boule de buis. J’ai froid. J’ai mal au crâne. Bage est assis  dans l’herbe à coté de moi. Il sourit. Nous quittons la villa sans nous retourner. Le reste de la journée n’est pas à écrire.

Lundi matin. Encore troublé par cette soirée. Je repense à la fille aux seins nus. Que s’est-il passé pendant que le dormais dans le jardin ? Bage ne m’a rien dit. Il s’est contenté de sourire. Et puis il y a Caroline Fresnoy. Elle occupe mes pensées bien plus que la fille aux seins nus. Difficile de se concentrer sur les prises de sang. Je vais chez l’homme à la dermatose bulleuse. Son fils n’est toujours pas venu. Cet homme passe ses journées à attendre son fils. Il souffre mais il ne dit rien. J’admire son visage creux, volontaire. Il cotise à une mutuelle de l’armée. Je me plais à lui imaginer un passé plein d’aventures.

Caroline  m’appelle dans la soirée pour me donner la date du rendez-vous chez le neurologue. Elle me demande de passer plus souvent chez sa grand-mère. Tous les deux jours ce serait bien. Si  la caisse d’assurance maladie ne donne pas son accord, la famille payera quand même. Elle dit aussi qu’elle essayera elle-même de passer plus souvent. J’ai envie de lui dire que je passerai tous les jours, à mes frais, mais je n’ose pas. Lorsqu’elle raccroche, que je n’ai plus sa voix angélique au creux de l’oreille, la maison me semble atrocement vide. J’ai toujours su qu’un abîme me séparait des   Fresnoy. Ils sont une des plus vieilles familles de la région et une rue de la ville porte le nom d’un de leur ancêtre. Le fils dit Maman quand il parle de sa mère et il  la vouvoie.

Tant qu’il s’agissait de la grand-mère ou de son fils, je n’en faisais pas une histoire. Maintenant il y a Caroline. Pour une fille comme elle, je n’existe pas. Je suis l’infirmier qui soigne sa grand-mère, je suis sérieux, aimable, disponible, elle peut même, à l’occasion, me trouver charmant, mais je ne suis pas une hypothèse en matière sexuelle ou sentimentale. C’est une question de sociologie et je crois à la sociologie.

Le lendemain à  dix heures je suis devant chez les Fresnoy. La vieille femme a été prévenue. Nous parlons. Je suis distrait. J’écoute les bruits du dehors en espérant à tout instant que la porte va s’ouvrir, qu’une cavalcade enfantine va résonner dans le hall. Et puis soudain dans le ronronnement de la conversation j’entends le mot François.  Toujours cette histoire de frère. Je ne sais pas si je dois la contredire où la laisser divaguer. Il y a longtemps qu’on n’a pas vu François. Il est si vivant, si joyeux. Dites-lui qu’il vienne me voir. Vous savez que j’ai gardé des photos ? Je vais les chercher. Elle saisit sa canne et se lève. Je suis indécis. Elle est déjà dans le hall. Je la rejoins face à une armoire normande qu’elle entrouvre déjà. Des albums à la tranche épaisse sont rangés sur une étagère. Elle les tapote du doigt, un par un, et finit par s’arrêter sur un album beige. Revenue au salon elle le pose sur la table basse. Approchez-vous, venez-voir. Elle tourne les pages. Vieilles photos en noir et blanc.  Elle hésite, revient en arrière. Je ne sais plus, vraiment, je ne sais plus. Quel dommage. J’aurais tant aimé vous montrer des photos. Puis soudain elle secoue la tête tout en se pinçant les lèvres. Excusez-moi, je ne sais plus ce que je dis. Où en étions-nous déjà ?

Où en étions-nous ? Nulle part madame. Ce n’est pas pour vous que je suis venu mais pour votre adorable petite-fille. Mais ce jour là point de Caroline aux yeux pâles. Le reste de la journée s’en trouve affecté. Je me traîne d’un rendez-vous à l’autre. Le soir j’ouvre une boite de sardines à l’huile et une bière. C’est nouveau la bière. Au temps d’Agnès nous n’avions jamais de bière, sauf, parfois, des bières biologiques aromatisées aux plantes sauvages que nous ramenions d’un quelconque arrière-pays. Idem pour les bouteilles d’apéritifs. Notre armoire était pleine de vins d’orange, de vins de noix, et de toutes sortes d’alcools faits maison. Cependant notre amour de mère nature n’allait pas beaucoup plus loin que ça. Agnès n’était pas une fanatique ; elle aimait simplement nager dans le grand courant de la vie. Lorsqu’elle voulait quelque chose, qu’elle le voulait réellement au détriment de tout, elle se contentait de dire  c’est tendance, et  tout était dit. Quelques semaines avant son départ elle avait décidé que nous aurions dorénavant une maison Feng Shui. Ce fut la dernière tendance. Je n’ai jamais su ce qu’était une maison Feng Shui et je n’ai jamais cherché à le savoir depuis.

Publicité
Publicité
Commentaires
T
Moi, je suis comme slave 001, j'aime bien le style et la solitude qui se dégage du personnage.<br /> Vivement la suite.
Jours d'ennui
Publicité
Publicité