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Jours d'ennui
15 janvier 2011

Effacement progressif du passé - 5

Juste avant le début du film le téléphone sonne. Jean-Pascal Dumas. Un ancien camarade d’école. Rien à voir avec Bage. Perdu de vue pendant des années, retrouvé au chevet de sa grand-mère mourante. Depuis il m’appelle  lorsqu’il a besoin de moi. Ce soir c’est sa fille. Un ganglion au cou. On ne va pas déranger un médecin à neuf heures du soir. J’ai d’abord  envie de lui raccrocher au nez mais je ne sais pas dire non. Ce n’est pas de la gentillesse ; je suis lâche et je trouve ça confortable. A la fin Dumas me remercie à peine. Il me dit qu’il faut qu’on bouffe ensemble un de ces jours. Eternelle proposition. Il a cependant tenu parole une fois. Pendant tout le repas il n’a cessé de passer des coups de téléphone et au dessert il est allé s’assoir à la table d’un de ses amis avec qui il avait passé une soirée d’enfer la semaine précédente. 

Le lendemain en me levant j’ai dans la tête la chanson de Maxime Le Forestier. Dimanche sera gris, je ne vous verrai pas, pas avant lundi soir. Nous sommes mercredi et je dois passer chez les Fresnoy. Caroline sera-t-elle là ? Je devrais me sentir ridicule avec mes émois de collégien mais je ne me vois plus tel que je suis.

Je ne la vois pas de la semaine. Je passe pourtant tous les jours chez la vieille Fresnoy, qui ne s’apercevait de rien et m’accueille toujours avec la même courtoisie. Je m’occupe à peine de ses traitements. Chaque jour un peu plus je repousse le moment où je dois la quitter. Les autres rendez-vous de la matinée en souffrent.

Si je n’ai pas revu Caroline, j’en ai un peu plus appris sur le mystérieux François. Des monologues plus ou moins cohérents de la vieille femme je peux tirer quelques faits qui, une fois rassemblés, prennent la forme d’un épisode romanesque et sentimental. Jacqueline Fresnoy a connu le jeune François dans sa jeunesse. Elle en était amoureuse et, si j’en crois les bouquets de fleurs, les promenades dans le parc de la maison familiale, cet amour était partagé. Mais le jeune homme, dont j’ignore le nom, ne plaisait pas à la famille. Plusieurs fois la vieille femme s’est plainte. Papa n’aime pas François. Quel dommage. Il est si prévenant, si charmant.

Vendredi soir. La semaine se termine. Je m’accorde une bière. Devant la télé silencieuse je pense à cette histoire. Elle m’a permis de passer le temps. Un peu plus que ça, même. J’y vois une sorte de parabole. Le jeune homme éloigné de celle qu’il aime car il n’est pas du même milieu me rappelle ma propre situation. Je ne mesure même pas tout ce qu’il peut y avoir de fantasmatique dans cette comparaison. A neuf heures et demie je ferme la télévision. Mon  voisin  m’a prêté un bouquin il y a plus de trois semaines et je ne l’ai toujours pas ouvert. L’auteur ne me dit rien. Raymond Carver. Américain ? Français ? Je fais plutôt confiance à mon voisin car il écrit des livres. Il s’appelle Marc Spaccesi, vous avez sans doute entendu parler de lui, on trouve ses livres dans toutes les librairies de la ville et il est déjà passé à la télévision. J’ai un autre ami écrivain. Pascal Descos. Un auvergnat fameux. Toutes les clermontoises sont folles de lui et de ses romans. Je n’ai pas fini la première page de Carver que le téléphone sonne. Caroline Fresnoy. Elle est désolée. Elle ne m’a pas appelé de la semaine. Trop de travail, trop de soucis avec les enfants. Demain elle sera à 10 heures chez sa grand-mère. J’y serai, Caroline, j’y serai. Du coup j’ouvre une autre bière et je rallume la télévision. Raymond Carver attendra.

Le lendemain matin j’ai du sang neuf dans les veines. Je réponds même avec un sourire aux récriminations de M. Jouventin. C’était mon tour de tondre les vingt mètres carrés de pelouse de la copropriété et j’ai oublié. De toute façon il n’y a plus de pelouse. La sécheresse l’a réduite à quelques herbes jaunes. Mais il ne faut pas contrarier M. Jouventin, il est l’ancien directeur de l’asile d’aliénés.

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Commentaires
A
Je ne pensais pas que ces auteurs existaient. J'ai même trouvé un blog et un site au nom de Pascal Descos. Ils donnent envie de dévouvrir cet auteur.
G
L'auteur de ces lignes est quelqu'un de très cultivé puisqu'il connait deux grands auteurs régionaux qui, malgré leur talent, évoluent loin du parisianisme ambiant de la littérature contemporaine, je veux parler de Marc Spaccesi et Pascal Descos.
Jours d'ennui
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