Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours d'ennui
28 janvier 2011

Effacement progressif du passé - 7

Je suis obligé de partir. Je laisse un message à Caroline, qui ne répond pas au téléphone, puis je quitte la grande maison blanche. Je passe chez mes parents et je déjeune avec eux. De leur fenêtre je surveille ma voiture. Je me sens dans le même état d’esprit que si j’avais caché un cadavre dans mon coffre.

Retour chez Fresnoy en milieu d’après-midi, sans avoir eu le temps de passer chez moi. Quand je sonne il ne se passe rien. Je me maudis de ne pas avoir pensé à demander un trousseau de clé. Je vois déjà la vieille femme agonisant sur son lit. Puis soudain la porte s’ouvre et c’est moi qui manque de mourir sur place. Caroline est là, devant moi, vêtue d’un seul bikini noir, encore ruisselante. Elle me sourit, bel éclair blanc dans la pénombre du couloir, elle penche la tête sur le coté et se frotte les cheveux du plat des deux mains.

-          Désolée, vraiment. J’étais dans la piscine avec les garçons.

-          Pas de problème, au contraire, vous avez bien raison. Comment va votre grand-mère ?

-          Bien. Très bien même. Elle est assise avec nous, sous un parasol.

-          Le médecin lui avait dit de rester allongée.

-          Oui, je sais, mais ma grand-mère n’en fait qu’à sa tête. D’ailleurs, à propos de tête, j’aimerais vous parler. Vous avez cinq minutes ?

J’ai ma  vie entière pour une fille comme elle. Je me contente de la suivre jusqu’à la piscine. Les deux garçons attendent  dans l’ombre d’un parasol au pied de Mme Fresnoy qui lit un roman. Dés qu’ils aperçoivent leur mère ils se jettent à l’eau en hurlant. Je vais jusqu’à la vieille femme, la salue. Elle se  montre un peu froide.

-          Merci, vous êtes gentil M. Mailhes, mais rassurez-vous, je vais bien, je vais même très bien. 

Caroline m’entraîne à l’écart, sur une butte de gazon au pied du tilleul. Elle s’assoit à même le sol. Je fais de même. Je me sens lourdaud, mal habillé. Je me dis que j’ai les cheveux sales. Les jambes nues de Caroline me troublent. Et quand je parle de trouble, c’est manière de rester décent. Caroline sent l’ambre solaire. Je sais qu’elle n’est pas venue là pour que je m’extasie sur la perfection de ses jambes. Elle sait aussi que je le sais.

-          Maintenant, il faut que vous m’en disiez plus.

Sa voix coule toujours de la même source miraculeuse mais elle s’est resserrée d’un quart de tour. Trois fois rien, juste histoire de me dire, gentiment, entre les lignes, qu’elle attend quelque chose de convainquant de ma modeste personne.

-          A propos de quoi ?

-          De ma grand-mère. De ses absences. Elle est très gênée. Elle pense avoir dit des choses pendant ses moments d’absences. Des choses qu’elle n’avait pas envie de dire. Je n’en sais pas plus. Elle vous a demandé de tout lui répéter, je crois. Elle a confiance en vous, mais elle se sent, comment dire, dénudée. Vous lui racontez tout, vraiment ?

-          Jusqu’à présent, oui. Sauf pour ce matin. Je n’ai pas pu, elle s’est endormie, et ensuite le médecin était là.

-          Et dans ces moments là, de quoi parle-t-elle ?

-          J’ai promis de n’en parler à personne. Mais je vais faire une exception, je ne pense pas qu’elle m’en voudra.

Du coin de l’œil je regarde Jacqueline Fresnoy. Elle s’est tassé, son visage penche en avant, inerte. Elle dort. Je reprends dans un souffle.

-          Si j’ai bien compris, votre grand-mère me prend pour le frère d’un certain François qui aurait été amoureux d’elle il y a bien longtemps. Et je crois que c’était réciproque. Mais apparemment ce garçon n’était pas le style de la famille et votre grand-mère en a souffert. Voilà, comme vous le voyez, ce n’est pas grand-chose. Ceci-dit, je comprends qu’elle se sente gênée.

-          Oui, je comprends. Elle est terrible, vous savez. Très à cheval sur un tas de chose. Alors, raconter ce genre de souvenir à un étranger, ça doit la mettre  très mal à l’aise. Excusez-moi, pour l’étranger, ce n’est pas péjoratif, c’est ce qu’elle ressent elle,  on se comprend ?

La discussion en  reste là car la terrible grand-mère est sur le point de mourir. C’est un des garçons qui nous alerte. Maman, maman, grand-mère Jacqueline elle est toute bizarre. Bizarre au point d’être dans le coma. Son front est brulant et elle ne répond à rien. Je la porte jusqu’à sa chambre. Caroline me suit. Le reste de l’après-midi est occupé à sauver la vieille dame d’une mort finalement pas si proche. Champsaur s’y emploie avec calme. Lorsque je quitte la maison, bien après le vénérable médecin, Caroline me pose de nouveau la main sur le bras. Elle m’appelle Stan. Elle dit que les enfants sont maintenant en vacances, qu’elle passera tous ses après-midi chez sa grand-mère mais que ce serait bien, quand même,  si je pouvais venir de temps en temps moi aussi, l’après-midi de préférence.

Le même soir, peu avant dix heures. Il reste encore des trainées de jour dans le ciel. Je bois une bière sur ma minuscule terrasse. Je suis encore sous l’effet de ce « Stan », de ce « ça serait bien que vous passiez ». J’essaye de me raisonner, de me dire que c’est juste une façon pour elle de me montrer sa reconnaissance. Mais rien n’y fait, j’ai quinze ans et je ne veux pas déchanter. Je finis ma bière et je rentre au salon. L’album de photos est sur la table. Je ne l’ai pas encore ouvert. Je me sens ridicule. Un peu merdeux. Vague impression de trahir Caroline. J’ouvre quand même l’album.

Le lendemain je n’ai pas temps de passer chez les Fresnoy. Trop de papiers en retard. La Caisse Primaire me relance. Donc pas de Caroline, pas de jambes bronzées ni d’ambre solaire. Je suis en manque. Une espèce de brûlure intérieure.

Publicité
Publicité
Commentaires
S
Originale cette idée de parler de la maladie d'Alzeimer sans tomber dans le pathos. C'est un élément constitutif du scénario qui traite de tout autre chose.<br /> Je regrette juste que le déroulement de l'histoire se lise en remontant le blog.<br /> Mais en tout cas, un style plaisant et aéré.<br /> Stéphane
Jours d'ennui
Publicité
Publicité