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Jours d'ennui
11 mars 2011

Helvète placard - 2

Chaque société possède ses rites et ses clans. C’est à peu près tout ce que j’ai retenu des cours de sociologie (science odieuse qui prétend réduire l’homme en esclavage). A l’école il y avait donc ceux qui logeaient sur le campus de Luminy et ceux qui dormaient  en ville. Et parmi ceux-là, il y avait ceux qui prenaient le bus et ceux qui possédaient une voiture. Bien entendu, Jeff appartenait à cette dernière catégorie. Pour ma part, je pouvais déjà me considérer comme un privilégié. A défaut de voiture  j’avais une chambre en ville. Pas de poster de Voyage au bout de l’enfer sur le mur, pas de canettes de bière dans le frigo,  ma chambre était triste et silencieuse.  Pour bien comprendre la situation il faut savoir que lorsque  j’avais annoncé à mes parents (un 22 juin, pour être précis)  que j’étais admissible  à l’école supérieure de commerce de  Marseille,  ma mère avait d’abord blêmi et mon père s’était raclé la gorge. Oh ! Ce furent des  signes à peine perceptibles, qu’un autre que moi n’aurait pas discerné dans les sourires et les accolades qui saluèrent l’heureuse nouvelle. Mais je connaissais mes parents, je savais  qu’à leurs yeux Marseille était une ville infréquentable, une ville à moitié française,  où l’on ne pouvait pas sortir la nuit, une ville de voyous et de joueurs de boules. J’avais à peu près les mêmes idées en tête.
Les jours suivants se passèrent donc  à guetter le courrier. Début juillet, il fallut bien admettre la cruelle réalité : je n’étais admissible  qu’à deux écoles : Clermont-Ferrand et Marseille.  Je mis tout mon cœur dans les oraux de Clermont mais les portes de notre  capitale ne s’ouvrirent jamais devant moi par la faute d’une psychologue qui me traqua tout au long de l’oral. Sans doute avait-elle deviné en moi l’enfant unique trop longtemps couvé. Lorsque je revins de Clermont, déconfit, un élément nouveau avait redonné le sourire à mes parents : La belle-sœur de mon père s’était découvert un cousin à Marseille, un certain  Gérard Lagier, et les époux Lagier étaient prêts à m’héberger ! D’un seul coup Marseille devenait une hypothèse acceptable.

 

Lorsque je reçus ma convocation aux oraux mes parents décidèrent de m’accompagner à Marseille. Après un interminable périple dans les steppes du Massif Central (mon père ne supportait pas l’autoroute) nous étions arrivés à la tombée de la nuit. Mon père s’était perdu et nous avions du demander notre chemin à une prostituée. Malgré cette entrée en matière plutôt burlesque, nous traversâmes une partie de la ville sans nous faire agresser et, une fois rendus à bon port, le quartier des Lagier nous parut à peu près aussi calme que le centre de Montluçon, ce qui n’est pas peu dire. Ils habitaient un rez-de-chaussée de la rue Rougier dans le cinquième arrondissement. Leur accueil fut à peine courtois. Suzanne, la femme de Lagier, nous avait gardé un reste de salade de tomate que nous avalâmes sur un coin de table. Mes parents dormirent sur le clic-clac du salon pendant que j’inaugurais ma chambre. Le lendemain, Gérard Lagier nous guida jusqu’à Luminy avant de se rendre à son bureau. Nous nous accordâmes pour trouver  le  campus parfait. Très américain.  Pendant que je passais mes oraux,  mes parents descendirent à Cassis. Mon père revint avec un coup de soleil sur le nez. Quant à ma mère, elle était éblouie. Elle ne parlait plus que de cette région merveilleuse, sublime.  De mon coté, si j’avais été médiocre en allemand et tout juste passable en anglais, l’entretien général m’avait laissé une impression lumineuse. Avais-je succombé aux charmes de la psychologue de service ?  Toujours est-il que je m’étais senti déterminé et confiant comme je l’avais rarement été auparavant. Et le soir au repas on vit deux sudistes moroses se demander quelle mouche avait piqué ces auvergnats hier si inquiets et aujourd’hui hilares. Le lendemain, avant notre départ, il fallut bien parler du loyer. Les Lagier proposèrent une somme exorbitante que mes parents acceptèrent sans ciller. Le 19 juillet j’étais officiellement admis à l’école et le 15 septembre j’emménageais à Marseille.

 

Les Lagier n’avaient pas d’enfant et on ne peut pas dire qu’ils se prirent d’affection pour moi. Ils me logeaient, mon père payait, point final.  Ils devaient cependant avoir conscience que le loyer était au dessus de la moyenne car ils ajoutèrent à la location des neuf mètres carrés de ma chambre une surveillance constante de mes allées et venues. Je ne suis pas certain que mes parents en aient demandé autant. Chaque fois que ma mère appelait pour prendre de mes nouvelles, celui  des Lagier qui décrochait se débrouillait pour lui faire un compte-rendu de mes activités. Ces indics à la petite semaine n’eurent pas grand chose à se mettre sous la dent au cours du premier trimestre. A défaut d’être un étudiant modèle, j’en avais adopté le comportement. Mon seul souci était de trouver une occupation pour la fin de semaine car je n’aurais jamais supporté un tête à tête de quarante huit heures avec mes logeurs. La plupart du temps, j’allais un peu  marcher dans les Calanques et le soir  je traînais du coté du Vieux Port ou de Castellane avec cinquante francs en poche pour une pizza et une bière. Pendant toute cette période je ne remontai que deux fois dans mes Combrailles natales, à la Toussaint et à Noël. Ce furent les deux meilleurs moments  du trimestre. 

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Commentaires
P
Helvète placard !<br /> Je suis un des rares privilégiés à connaître la fin de l'histoire. Le titre est finement trouvé et révèle un esprit plein d'humour chez l'auteur de cette nouvelle. <br /> Bonne continuation Mahaul...
Jours d'ennui
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