Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours d'ennui
2 avril 2011

Helvète placard - 6

 

Je quittai le bar à huit heures et traversai  la Canebière engluée dans son éternel  embouteillage . Il était huit heures vingt lorsque je pénétrai sous la verrière de la gare. Le train de Zurich était annoncé à la voie C. J’avais  des crampes d’estomac. A vingt-cinq la locomotive suisse s’immobilisa contre le butoir. Je laissai passer la première vague de voyageurs avant de remonter le quai jusqu’à la voiture 3. L’homme que je cherchait se tenait devant le marchepied. Je lui trouvai une bonne tête. Assez grand, blond, le teint halé, il ressemblait à un moniteur de ski.  Je m’approchai, demandai le coucou de madame Anselme. Il fronça les sourcils. Je bredouillai que Jeff était parti, qu’il m’avait demandé de m’occuper du paquet. Le nom de Jeff amena un sourire sur son visage. Il me dit de ne pas bouger et disparut dans le wagon.  Lorsqu’il ressortit, il tenait sous son bras un colis rectangulaire  enveloppé dans du papier rouge.

 

-       Mes amitiés à Jeff, me lança-t-il avec un accent allemand  digne d’un officier SS  dans la Grande Vadrouille.

 

Puis il se tourna vers un voyageur qui voulait savoir si c’était bien le train de Nice. J’étais décontenancé. Ce contrôleur désinvolte n’avait pas l’air d’un trafiquant. Mais n’était-ce pas le meilleur moyen pour ne pas être repéré ?

 

Je me retrouvai  au sommet du grand escalier. Sur la colline en face, au delà des toits de la  ville, la Vierge de la Garde brillait au soleil. Je lui adressait une prière muette. J’avais besoin de son aide. Une petite demi-heure, le temps de traverser le centre ville. Peut-être moins.  Le ciel d’un bleu arrogant acheva de me regonfler.

 

Je ne savais pas où habitait la grand-mère de Jeff. Je décidai de descendre vers la Canebière puis de jeter un œil sur un plan. Alors que j’arrivai sur le palier du grand escalier, un gamin m’aborda. Il voulait une cigarette. Douze ans, treize au plus, une bouille encore enfantine. Je lui dis que je ne fumais pas. Au moment où il tourna les talons d’un air boudeur, quelqu’un  me poussa dans le dos. J’écartai les bras pour retrouver mon équilibre  et le paquet disparut aussitôt, happé par une main invisible. Je me retournai. Ils était deux. Un Noir filiforme et un Blanc à peine plus baraqué. Deux gamins. Le troisième, celui qui voulait une cigarette, les  rejoignit. Ils me narguaient. C’était le Noir qui tenait le coucou. Il avait beau être le plus grand, il ne m’arrivait pas à l’épaule. J’avançai d’un pas. Aucun d’entre eux ne bougea. Alors je sautai sur le Noir. Il recula et lança le colis à son voisin, qui le donna au troisième lascar. Et le petit jeu continua. Ils se passaient le colis comme un ballon de rugby. Je ne cherchais même  plus à intercepter le coucou. Devant mon inertie, les gamins se rapprochèrent tout en continuant leur jeu. Puis ils se mirent à me bousculer  au passage. Quelques passants s’arrêtèrent. Ma situation était ridicule. Vient enfin le moment ou je pus saisir le coucou au vol. Je me précipitai alors dans l’escalier. Les gamins ne me poursuivirent pas. Je ne ralentis le pas que sur le boulevard d’Athènes. J’avais les joues brûlantes de honte. Arrivé sur la Canebière je remontai jusqu’aux Réformés et entrai à nouveau dans le bar en face de l’église. Retour au point de départ.  Ma gueule de bois avait succombée.   Je  commandai un demi bien qu’il ne fut que neuf heures. Après deux gorgées de bière je me sentis un peu mieux.  Neuf  heures dans les bistrots c’est l’heure des solitaires.  J’en comptai cinq. Des hommes qui avaient dépassé la cinquantaine. Personne ne parlait. Le serveur balayait devant le comptoir, on entendait Radio Monte-Carlo. J’avais posé le cadeau sur la table. Le paquet rouge était déchiré par endroits. J’aurais aimé rester ici jusqu’au soir, oublier Jeff et sa grand-mère, revenir un jour plus tôt. Et tant pis pour Anna.

 

Je restai encore un long moment sans bouger, accablé d’une  torpeur paisible.  Je finis par plonger la main dans mon blouson pour payer. La poche  était vide. Je palpai les autres poches: rien.  Les gamins m’avaient bien eu.  Bravo. Et merde aussi.  Je ne pouvais même pas  payer ma bière. J’inspirai un  bon coup et m’avançai jusqu’au comptoir. Le serveur me regarda d’un air bienveillant. Je lui expliquai que  j’avais perdu mon portefeuille. Je souriais, en essayant de prendre  un air désolé. Je le forçai à écrire   le nom et l’adresse des Lagier sur son carnet. Il jeta un regard dubitatif sur le calepin et  me laissa partir.

 

 Une fois sur le trottoir je vérifiai que les clés de l’appartement était toujours dans ma poche. Ce fut à cet instant que je compris que je n’avais plus l’adresse de Mme Anselme : le papier de Jeff était resté dans mon portefeuille ! Le coup était rude.  En plus il était neuf heures et demi, l’heure à laquelle Suzanne  Lagier passe l’aspirateur. J’en étais quitte pour guetter les aller et venus de la revêche Suzanne et chercher dans l’annuaire l’adresse de Mme Anselme. Je me souvenais au moins d’une chose : elle habitait dans le 6ème arrondissement.

Publicité
Publicité
Commentaires
Jours d'ennui
Publicité
Publicité